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Emile RIPERT et les poètes du félibrige

Charloun Rieu
Le plus pittoresque de tous les poètes provençaux que j’ai connus-et il a souvent en fait tenté les peintres et les sculpteurs depuis Henry jusqu’à Elisabeth de Groux-, a été le chanteur populaire du Paradou, Charloun Rieu. Charloun Rieu

Albert Arnavielle
Parti d’Alès, mais fixé à Montpellier, Albert Arnavielle, dit l’Arabi, à cause de son teint bronzé, de ses yeux de feu et de sa fougue, le Saint du Félibrige, catholique et royaliste fougueux..
Un jour où de retour de Maillane vers 1926 nous évoquions le centenaire proche de Mistral, comme il commençait à se dire vieux et fatigué : « n’importe, dit-il, je m’y ferai porter sur un brancard ». C’est ce qu’il fit, ou presque, mais en 1927, à la Sainte-Estelle, qui se célébrait cette année là à Montpellier. Trop fatigué pour assister au banquet dès son début, il s’y fit porter au dessert et on lui donna la parole. Avec une ombre de voix, fantôme au bord de sa tombe, il chanta les strophes de la Coupo Santo et quand il en fut à dire

« Mai se toumbon li félibres, toumbara noste nacioun »

il fit de la main un geste de dénégation, devant cette hypothèse qui révoltait sa foi….Nous avions tous les larmes aux yeux. C’est la dernière fois que nous le vîmes et pour le centenaire de Mistral, s’il y assista ce fut du Paradis de Sainte-Estelle.

Prosper Estieu
En continuant ma route à travers le Languedoc j’aperçois près de Carcassonne, instituteur en son village de Raissac-sur-Lagny, Prosper Estieu, à la noire chevelure, à la barbe apostolique, à la voix de bronze, impeccable travailleur des sonnets parnassiens et d’odes lyriques, où passait l’inspiration albigeoise, héritée de son maître Auguste Forès. Aux flancs de la montagne noire, ce repaire de faidits, il avait l’air d’un dernier cathare oublié par la croisade. J’allais le voir en 1916 quand j’étais quelques mois attaché à la sous-intendance de Carcassonne ; j’avais été amené à lui par le Châtelain du lieu qui s’appelait par une sorte de prédestination Léon Cathary, grand bibliophile et généreux mécène, qui s’est ruiné à ce jeu et s’en est allé mourir à Paris, devenu bouquiniste rue d’Assas par amour des livres. Estieu, dont l’école était toute voisine, était un assidu du château, un jour je lui apportais pour l’examiner le manuscrit, que j’allais alors faire imprimer de ma thèse sur la Renaissance provençale. Je l’ai revu depuis plusieurs fois à Toulouse, aux fêtes de l’Escolo occitane, ou à l’Académie des Jeux floraux, et la dernière fois, de façon inoubliable en 1938 aux pieds de la colline pour lui sacrée de Montségur, où trop las et trop vieux, il avait alors soixante et dix neuf ans, il n’avait pu monter avec les Félibres, mais il regardait de ses yeux de voyants, pleins d’extase, tandis qu’il nous disait le beau sonnet qu’il avait écrit pour saluer le Félibrige à Montségur. L’an d’après il s’éteignait après une lente agonie. Son disciple et ami, de Castelnaudary, l’Abbé Joseph Salvat, a recueilli sa belle tradition, tout en mitigeant son albigéisme, qui eût été excessif pour un prêtre.

Philadelphe de Gerde
Dans ce même sentiment Albigeois qui a de façon curieuse animé tant de Félibres de Languedoc ou des Pyrénées on ne peut oublier la grande muse du Bigorre, Philadelphe de Gerde. Je l’ai aperçue pour la première fois à Montpellier, pour la Sainte Estelle de 1910, en même temps que Prosper Estieu, . Mais plus sensationnelle encore Philadelphe de Gerde avec son capulet noir de Bigourdane, et disant ses âpres vers d’une voix rude et caressante tout ensemble ; très ému par ce beau spectacle je lui adressais peu après un poème en terza rima. Je l’ai revue à Toulouse, elle aussi, toujours aussi belle et toujours aussi ardente à revendiquer les droits de la langue. Dressée sur l’horizon pyrénéen elle a eu vraiment une grande allure de prophétesse, pleureuse aux voiles noirs de la race d’Oc abâtardie.

Farfantello
Curieuses figures de femmes fidèles au vieil idéal de cette race inscrivons ici le profil mélancolique et rêveur à la fois de Farfantello (Henriette Dibon) d’Avignon, le visage au nez busqué de Marcelle drutel, marseillaise ardente, la face mince et délicate, aux grands yeux toujours étonnés, de Noune Judlin qui vit à Garrom, au bord du Var, Châtelaine et paysanne, au chant des ruisseaux et des rossignols, j’ai vécu quelques belles heures de poésie et d’amitié dans son castelet poétique, au milieu de la plus suave nature.


Les poètes du félibrige

Que de poètes du félibrige ne me faudrait-il pas encore citer pour faire un recensement complet de ceux que j’ai connus, dans les Pyrennées Bernard Sarrieu, normalien professeur de philosophie, qui avait écrit un poème pyrénéen de 30.000 vers et portait toujours même dans les cérémonies félibréennes une redingote de prêtre en civil et un énorme parapluie, rêveur mal éveillé, perdu dans la vie contemporaine, Raymond Lizop, professeur d’histoire lui, mais tout aussi loin des réalites, vivant avec les romains ou les comtes de Saint Vertrand de Cominges, dont il avait écrit l’histoire, ou les faidits albigeois qu’il célébrait lui aussi d’une voix aussi bronzée que celle de Prosper Estieu : Antonin Perbosc, poète albigeois, lui encore, mais poète des oiseaux, et de son métier instituteur et bibliothécaire à Montauban Michel Camélat, avec son petit béret basque, vif Ariègeois, au grand talent d’évocations populaires, Simon Palaiy de Pau, à la grande
barbe, aux yeux pensifs et doux, poète de la maison, et puis pour revenir en Provence François Jouve, boulanger de Carpentras, pétrissant de la même souple la farine et la langue provençale, poète en action, à Avignon le vieux Bénézet, Bruneau, à la mouche mistralienne, au grand feutre et tenant bon jusqu’à ses quatre vingts ans dans les fêtes du Félibrige, promenant, sur tous les chemins, sa grande barbe, sa jambe boiteuse et sa foi qui ne l’était pas, à Toulon, poète du discours et de l’action, Pierre Reynier, instituteur aux beaux yeux, Antoine Esclangon avec son immense chapeau et son optimisme permanent. A Marseille le bouillant et truculent Jorgi Reboul, animateur du Calen, robuste garçon qui chante dans la tradition de Victor Gelu, à Sanary le docteur Clément, à Nice Louis Gennaud, auteur discret de chansons niçoises et Francis Gag, animateur du théatre dialectal de Barba Martin, au Cailar et puis à Aigues Vives Sully André Peyre, poète trilingue, français, provençal, anglais, subtil, mélancolique, d’inspiration protestante, un peu à part du Félibrige et sa charmante et vive femme, escrivette, poète délicat aussi.

Jean Rozès
avocat toulousain, qui a pris en poèsie le nom de Brousse du nom d’un moulin, je crois qu’il possédait, est un tout petit homme, à la face ronde, aux yeux un peu affleurants, à la voix sonore, qui, bien planté sur ses courtes jambes, sait tenir tête à n’importe qui, Artiste, critique d’art, président des Toulousains de Toulouse il s’est dressé de toute sa hauteur (il suffit de parler de haut pour être grand) contre les démolisseurs imbéciles et il a réussi à conserver ainsi bien des souvenirs d’un passé vénérable. Poète de langue d’Oc et de langue française, il a chanté le cor de Roland et le Moulin sur la Colline, le passé et le présent de sa ville rose. Je l’ai connu en 1911 quand l’Académie des Jeux Floraux voulut bien m’accueillir. Je l’ai souvent retrouvé à ses réunions et mieux encore en des banquets de poètes et de repas intimes, auxquels il arrivait toujours en retard, ayant l’habitude de décaler sa journée de quelques heures sur celle des autres, se levant à 11h et se couchant à 3 heures du matin.

Armand Praviel
En 1908 après avoir remarqué  mes articles dans notre jeune revue le feu il m’avait écrit pour me demander de collaborer à la revue qu’il dirigeait depuis quelques années avec succès, l’Ame Latine. Comme son nom l’indiquait, cette revue exaltait l’humanisme, le Félibrige, l’union des races latines chère à Mistral ; c’était de quoi y rallier pleinement mon suffrage : je répondis à Praviel en termes chaleureux et voilà que l’an d’après j’avais la joie de le rencontrer sous les auspices les plus favorables, aux journées qui marquaient en Arles le cinquantenaire de Mirèio.
Dans nos conversations passionnées Praviel me montrait alors le chemin de l’Académie des Jeux Floraux, où il venait d’entrer tout jeune encore. Il voulait en rajeunir l’esprit, les méthodes, relever le niveau de ses concours. Il m’engageait à soumettre à son jugement mes plus récents poèmes. Je me laissai persuader et de 1910 à 1911 je fus ainsi comblé de tant de fleurs, qu’en 1911 l’Académie me remettait des lettres de Maîtrise et qu’en 1912 en qualité de jeune maître ès jeux Floraux je prononçais l’éloge de Clémence Isaure, dans la salle des illustres, au Capitole de Toulouse. Mon amitié avec Praviel s’affermit naturellement au cours de ces voyages de Toulouse ; il m’y reçut magnifiquement et m’y fit recevoir par ses amis J. Rozès de Brousse, Joseph Anglade, professeur de langues romanes à la Faculté des Lettres, historien des troubadours et joyeux vivant, François Tresserre, poète mondain et sentimental, élégant, bienveillant, Catalan, descendu de la Cerdagne, pour devenir à Toulouse avocat, lettré, mainteneur des Jeux Floraux.. Déjeuners et dîners comme on pouvait en faire alors en pays toulousain, thés, réunions de poètes, réceptions de l’hôtel d’Assézat, rien ne me fut refusé pendant ces belles journées d’ivresse poétique. Je repartis, enivré de tant de fleurs et d’encens et les années suivantes je ne cessais de correspondre avec Armand Praviel. Il était lui-même alors dans tout l’éclat de sa 36ème année, noble et beau, drapé dans sa cape noire, ses blonds cheveux au vent, l’œil vif et malicieux, le verbe haut, disant les vers mieux que les professionnels de la diction et jouant à l’occasion la tragédie. Il ressemblait à François Coppée. ; il en avait d’ailleurs la gaîté, la bonhommie ; en tout ce qu’il faisait, écrivait ou disait, il était
avant tout poète, et plus tard j’ai souffert pour lui de voir qu’on le connaissait surtout dans le grand public comme l’auteur de romains historiques, comme critique littéraire, on oubliait qu’il avait écrit de fort beaux vers dans la Tragédie du Soir et le cantique des Saisons.
A son retour de guerre il se remit courageusement au travail, au genre romanesque, aux énigmes judiciaires, aux récits historiques, qui devenaient à la mode : excellent orateur, et diseur admirable, il prodiguait aussi les conférences, faisait des tournées dans la France ; critique littéraire, il lisait tous les livres qu’on lui adressait, en parlait aux lecteur de l’Express du Midi, du Correspondant, entretenait une abondante correspondance, allait souvent à Paris, était présent à cent cérémonies littéraires, bref tenait tête à tout, avec une étonnante capacité de travail, une volonté de fer, toujours mathématique et net, ne laissant jamais s’altérer, fût-ce dans les moments les moins ingrats, son admirable écriture, pensant à tout, organisant dans le moindre détail les manifestations dont il se chargeait, animant les Jeux Floraux de sa verve, choisissant les meilleurs candidats, couronnant les meilleurs concurrents, juste, loyal, courageux, véritable héros du travail intellectuel, de la conscience professionnelle, du patriotisme régional.
C’était toujours un réconfort de le voir, soit à Toulouse, où il devait le long des rues soulever à tout instant son chapeau pour rendre des saluts, soit en tournée de conférences où il était toujours enthousiaste, gai, éloquent, soit à Paris, où il était connu de tout le monde littéraire, très lié notamment avec son compatriote Marcel Prévost, qui l’aimait beaucoup et lui ouvrait toute grande la revue de France et ses éditions.

LA SOCIETE DES POETES FRANÇAIS
« Parmi les groupement où j’ai connu le plus de porteurs de lyres, il y a naturellement la Société des Poètes Français ; je ne puis songer à citer tous ceux de ses membres que j’ai connus soit dans ses banquets, soit dans ses salons, qui se tenaient le mardi au Salons de peinture, dans une salle du grand Palais des Champs Elysées, à gauche en montant le grand escalier. L’endroit était plaisant ; on arrivait là en traversant le temple de statues qui occupaient le rez de chaussée de l’immense bâtiment dans la lumière atténuée qui tombait des verrières. Des tentures, destinées à amortir les bruits extérieurs, fermaient l’accès de la salle, qui avait un air oriental et mystérieux. Là sur une scène improvisée les martyrs de la rime, comme disait le vieux Victor Gelu, et leurs interprètes disaient leur vers à un public assez disparate et quelque peu fantomatique où abondaient les vieilles dames et les très jeunes filles, public candide, habitué à ces sortes de joies spirituelles. Fort peu d’élégances –les poètes ne sont pas riches- quelques têtes chevelues, des crânes chauves, de rares adolescents, un public en somme qui avait l’air sorti d’une très vieille province, où l’on honorait encore la poésie au cœur de ce Paris qui n’y croyait plus.
Là j’ai connu les divers présidents de la société, André Foulon de Vaulx, poète de haute race, mélancolique, secret, silencieux, Sébastien-Charles Leconte, sec, grand et mince, l’œil vif sous le lorgnon, parnassien sans défaut, grand honnête homme, à la parole rare et discrète, André Dumas, peu élégant aussi, bien que méridional, mais des Cévennes, du midi des pierres, comme disait Daudet, et par surcroît protestant, à la grosse tête carrée, aux bons yeux honnêtes et droits, Ernest Prévost, maigre et tourmenté à l’allure d’un Don Quichotte de la poésie, d’un absolu dévouement à tout ce qui était cette cause sacrée à laquelle il avait voué sa vie de moine littéraire ; l’animateur de toutes ces réunions était le secrétaire général, Edmond Teulet, chansonnier quelque peu Montmartrois, qui avec sa redingote et son monocle annonçait d’un ton impeccable qu’on allait entendre des vers de notre « bon camarade »

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