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Jeanne de Flandreysy
extraits  » les poètes que j’ai connus » :
Pour garder à ces archives de l’image un cadre digne d’elles, qui les gardât en ordre, mais aussi en ferveur et en beauté, Jeanne de Flandreysy après avoir racheté le Palais du Roure, au cœur d’Avignon, où les papes ont soixante et dix ans régné par l’Esprit, a restauré l’hôtel, qui menaçait ruine, de la noble famille des Baroncelli. Elle en a purifié les aîtres, supprimé les ajouts disparates, tout rétabli dans son équilibre premier.

Dans ce cadre ainsi remis en beauté, elle a su réunir livres, tableaux, eaux-fortes, fusains, souvenirs, gravures, lettres autographes de grands poètes et notamment de Mistral qui, grâce à elle, ajoutera un jour à toutes ses gloires celle de grand épistolier. De cette œuvre immense, seule la Postérité pourra rendre Louange à cette Notre Dame des archives latines.

Cher Roure, dont j’ai vu, année par année, se dessiner le vrai visage ! J’entends les scies découper les pierres ou le bois, les marteaux enfoncer les clous et les chevilles, je vois les murs s’orner de prestigieux dessins, de souvenirs émouvants, des ombres passer au long des salles, enveloppées dans leurs méditations, Henri de Groux, Louis le Cardonnel, Emile Espérandieu et tant d’autres, poètes, savants, artistes, tous apportant là quelque chose d’eux-mêmes, mais emportant quelque chose aussi, un conseil, un réconfort, un talisman, le bienfait spirituel de cette rigueur, de cette discipline exigeante et de cet enthousiasme aussi, « flamme dans du cristal », selon le mot de Louis le Cardonnel, feu ordonné qui éclaire sans brûler, quand tant d’autres brûlent sans éclairer.

C’est au Roure que Jeanne de Flandreysy a extrait des graviers et des boues de l’Histoire, que charrie le grand fleuve gallo-romain, les paillettes d’or qu’elle fait luire à nos regards.


Jeanne de Flandreysy
1874-1959
Voici le moment d’évoquer cette charmante et noble femme , qui a été si souvent méconnue et même calomniée.. Ce n’est pas à le Cardonnel que je dois de l’avoir connue, mais à Mistral. J’étais allé à Maillane, et j’étais encore tout plein de ces beaux souvenirs, quand un jour à l’Ecole Normale je fus appelé au parloir, et je me trouvais en face d’une ravissante jeune femme, accompagnée d’une dame plus âgée, qu’elle me présenta comme sa mère, Mme Mellier. Cette jeune femme venait de signer du pseudonyme littéraire de Jeanne de Flandreysy un livre qu’elle avait écrit sur « la Vénus d’Arles et le Muséum Arlaten » alors dans l’éclat de sa nouveauté. Elle me dit tout de suite que Mistral lui avait signalé ma présence à Paris et que, mistralienne fervente elle avait désiré faire ma connaissance. J’en fus touché, ému, charmé.

Après quarante ans passés, je revois encore cette scène, où dans le jour grisâtre de ce parloir universitaire qui sentait le bois ciré, je retrouvais la Lumière et le parfum de la Provence en contemplant le visage délicat, les beaux yeux, le cou flexible de cette muse inattendue, en écoutant sa voix musicale parler de tout ce que j’aimais. 

Elle m’invita à venir la voir dans son appartement de la rue de Chaillot, très joliment orné de souvenirs provençaux. Elle avait alors de fort belles relations littéraires, écrivait au Figaro, assurait par ses ouvrages provençaux le secrétariat littéraire de Jules Charles-Roux, député de Marseille et président de la Compagnie Transatlantique, qui, très attaché à son pays natal, lui consacrait une série d’ouvrages somptueux, illustrés par la photographie, le dessin et l’aquarelle et pour lesquels Madame de Flandreysy réunissait des documents à travers les musées de Provence, de France et même de l’étranger. De mon Ecole Normale assez mélancolique, je me trouvais donc porté en pleine effervescence provençale, en pénétrant dans ce milieu, où j’avais beaucoup à apprendre.

Mme de Flandreysy, en effet, fille de M. Etienne Mellier, archiviste-bibliothécaire de la Société d’archéologie de la Drôme avait une véritable hérédité de chercheuse intellectuelle, une intelligence très vive, un goût exquis et un courage opiniâtre à la tâche. Poète elle-même, elle écrivait de fort jolis vers qu’elle a réunis trop tardivement au gré de ses amis, auxquels elle a pensé toujours plus qu’à elle-même.

Ce n’est qu’après la guerre de 1914-1918 que je renouais cette amitié, qui ne devait plus subir d’éclipse. Madame de Flandreysy y avait acquis en 1917 l’hôtel des Baroncelli en Avignon, elle avait entrepris de restaurer cette admirable maison, d’y loger les collections iconographiques et les archives qu’après 15 ans de collaboration avec Jules Charles-Roux, qui venait de mourir en 1917, restaient sa propriété, de leur donner un cadre digne d’elles et d’y recevoir toute l’élite intellectuelle, qui s’intéressait à la Provence, au Félibrige, à Dante, à Pétrarque, aux Papes d’Avignon, à la Gaule romaine, à tout ce qui devait faire du Palais du Roure (ainsi s’appelait couramment l’hôtel des Baroncelli), en 25 ans de travail un foyer lumineux de mistralisme et de Latinité.


Premier étage
pièce avec cheminée


Premier étage
aile ouest
salle à manger

J’ai vu ce travail se développer au jour le jour pendant ces 25 années, où Mme de Flandreysy sacrifiait tous les succès et toutes les joies qu’aurait pu lui donner son charme personnel, sa réelle beauté, son intelligence forte et subtile ; je puis en témoigner, et je suis heureux de le faire. On pourra un jour écrire l’histoire complète de cette fondation précieuse ; je me borne ici à l’évoquer à grands traits. Dans les premières années je me rappelle ces réveils au bruit de la scie, qui découpait les blocs de pierre, des marteaux joyeusement maniés, ce rythme de travail allègre, qui dans les matins clairs d’Avignon soulignaient la volonté de restaurer la vieille demeure en son ossature même.


Premier étage – salon

Et puis le travail intérieur pour abattre des cloisons artificielles, remettre en leur état primitif les pièces de réception, tout en laissant subsister au second étage les coins intimes, les chambres basses et quasi secrètes. Dans ce cadre enfin aménagé je me rappelle l’arrivée des beaux et chers souvenirs, les meubles de Font-Ségugne, la presse, l’imprimerie Seguin où fut composée Mirèio, l’harmonium de Stuart Mill, là-haut au grenier, hissée à grand peine, la diligence de Maillane que Mistral prit si souvent, qui emporta son courrier et le lui apporta pendant 60 ans et qui allait périr, quand elle fut achetée et sauvée par Mme de Flandreysy. Je vois les caisses pleins de lettres de Mistral, les manuscrits des Olivades , des Mémoires, ces innombrables photographies des monuments, des statues, des tombeaux, des tableaux, des médaillons, des paysages, qui commentent l’histoire de Provence, celle de Pétrarque et de Dante, les livres nombreux et rares qui s’y rapportentt.

En vérité Jeanne de Flandreysy est entrée au Roure, comme on entre en religion et quand on pense à elle on répète ces beaux vers que Le Cardonnel appliquait à une autre grande dame lettrée :

« Vous évoquez aux jours de l’Italie ancienne,
Une abbesse princesse et platonicienne 
»

Or, venue à peu près au bout de sa tâche, elle a offert son œuvre à la ville d’Avignon. Poète pour avoir écrit quelques vers élégants et nobles, Mme de Flandreysy l’a été plus encore et surtout pour avoir dressé devant nous ce poème de pierre, plein d’évocations nobles et charmantes, tout bruissant de ces cloches qu’elle a tant aimées et si pieusement assemblées, tout illuminé de souvenirs provençaux.

Louis Le Cardonnel lui disait plaisamment «  Vous êtes l’archiviste de l’Eternité ».

Dans sa jeunesse Mistral l’avait chantée dans ce quatrain vraiment flatteur :

La pouësio es uno idèo
Que dins l’azur vèn trélusi,
Un cop se noumara Mirèio,
Un autre cop Jano de Flandreysy.
La poésie est une idée
qui dans l’azur vient resplendir
On l’appelle une fois Mireille
Une autre fois Jeanne de Flandreysy.

Enfin par delà tous les hommages amicaux, Folco de Baroncelli lui avait dédié dès ses premiers pas en Camargue un fougueux poème, où se marquait bien la violence et l’ardeur de ses sentiments, qui ne devaient pas se démentir pendant 40 années

Je vois aussi les hôtes parfois étrangers, mais toujours intéressants de cette vieille demeure enchantée, hôtes de passage, qu’il serait trop long d’énumérer, et hôtes permanents et parmi ceux là au
premier rang Folco de Baroncelli, qui se retrouvait là chez lui. Henry de Groux avec sa femme et sa fille Elisabeth, qui y restèrent deux ans, et ont laissé bien des souvenirs de leur séjour sous forme de dessins et de tableaux de grande envergure évocation de Dante et de Pétrarque, comme aussi des contemporains, Nolhac, Emile Espérandieu.. Je revois Henry de Groux avec sa face énigmatique d’ecclésiastique un peu inquiétant, ses yeux sensuels et noyés de rêves, ses longs cheveux plats coiffés d’un grand feutre, sa redingote de clergyman, son jonc à pomme d’or, sa politesse raffinée, son fusain génial qui fixait en quelques traits, d’un air négligeant, sur le papier l’âme de son modèle, telle que le modèle était étonné et parfois effrayé d’une telle révélation,. A côté de lui je revois sa femme, mystique des Flandres, et sa fille à l’aspect de tzigane, qui dans l’art de la gravure s’était mesuré aux aigles qu’elle avait observés au Jardin zoologique d’Anvers, « la jeune fille qui peint les aigles », comme l’avait nommé le poète Emile Sicard.

Or, à mesure que j’évoque ces hôtes du Roure et que je revois par la pensée au long de ces vingt cinq ans non seulement les jours de grandes réceptions littéraires, mais la vie quotidienne de la demeure, je mesure une fois de plus le courage, l’obstination, la force qu’il a fallu à cette femme pour mener à bien cette œuvre, au milieu des jaloux, des incompréhensions, des sourires sceptiques. En vérité, elle est entrée au Roure, comme on entre en religion et quand on pense à elle on répète ces beaux vers que le Cardonnel appliquait à une autre grande dame lettrée : « Vous évoquez aux jours de l’Italie ancienne, Une abbesse princesse et platonicienne. »


Emile Ripert
Palais du Roure 27 mai 1927

Jeanne de Flandreysy : Femme de lettres, se passionne avec son père, Étienne Mellier, pour l’Histoire et les Arts. Elle racheta en 1918 le Palais du Roure (d’Avignon)à la famille Baroncelli pour y établir un foyer de culture méditerranéenne.

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