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Le Marquis Folco de Baroncelli
extraits  » les poètes que j’ai connus » :
C’est un cavalier, ou pour mieux dire, un chevalier de chez nous. Folco de Baroncelli, Marquis de Javon, Patricien de Florence, Citoyen d’Avignon, « lou Marquès » pour tous les gens de Camargue…La demeure du Roure est celle qui, depuis le XVème siècle avait vu vivre les Baroncelli échappés de Florence après la conspiration des Pazzi. Il ne songeait qu’à perpétuer les traditions encore vivantes et à ressusciter celles qui, au long des âges, s’étaient assoupies. Il travaillait à la gloire de la Provence dont il voyait avec peine s’altérer les coutumes et s’effacer la vieille langue.

Or, pour cette tâche noble entre toutes, il avait un guide, un maître sûr, le poète de Maillane ; il alla droit à lui, s’en déclara tout de suite le disciple, lui ouvrit le Palais du Roure. Mistral, pendant neuf ans, y vint composer son journal de combat félibréen au titre savoureux « L’Aïoli » dont il nomma Folco de Baroncelli le Baile, c’est-à-dire le gardien et le guide, le nourricier…

Pendant neuf ans, de 1891 à 1899, Folco de Baroncelli mit, on peut le dire, et avec quel courage, la main à la pâte onctueuse, dont se délectaient les appétits provençaux ; Mistral y apportait, de Maillane, l’huile la plus pure ; de jeunes poètes le condiment de leurs premiers vers ; le Père Xavier de Fourvière, du geste blanc de sa manche monacale, bénissait la sainte tablée groupée pour la gloire du terroir.

Quand « l’aïoli » tomba, comme il s’affaisse parfois, lorsque le temps n’est pas favorable, sous le pilon des meilleurs cuisiniers, Folco, laissant le mortier désormais inutile, sauta à cheval ! Du cheval il avait le goût et aussi le goût du taureau par la race languedocienne des Chazelles, dont était sa mère. Tout enfant, lorsqu’il passait quelques jours auprès de ses grands parents maternels au Mas de Laiaud ou au château de Bellecôte, il avait vu des « abrivado », des ferrades, des courses de cocardes ou de simulacres. Il voulut entrer dans le feu et, comme il ne faisait rien à demi, devenir lui aussi propriétaire de chevaux et de taureaux, avoir à lui une manade. Il l’établit au Mas de l’Amarée, tout auprès des Saintes Maries de la Mer.

 

C’est en 1907 que je l’ai vu pour la première fois au Palais des Papes, lieu bien choisi pour une telle rencontre. J’étais allé assister à une fête provençale que couronnait un banquet. Mistral le présidait ; Folco qui était depuis 20 ans de ses intimes aurait pu parader à ses côtés, s’était placé au bas d’une table quelconque, où je me trouvais près de lui, humble débutant à peine avancé sur le « chemin blanc » de mon adolescence poétique.

C’est assez indiquer combien ce gentilhomme, ce poète déjà connu des milieux félibréens, faisait preuve d’une simplicité et d’une modestie qui furent telles toute sa vie ; nous les trouvions parfois excessives ; elles n’étaient point pourtant chez lui, une affectation, mais la simple humilité d’un homme qui, tout en ayant fait beaucoup mesurait ce qui lui restait à réaliser.


Le Marquis Folco de Baroncelli
1869-1943

Il n’a jamais souhaité aucun titre, il a mené une vie héroïque et sage en sa solitude palustre, satisfait de régner en camarade sur les cavaliers de la « nacioun Gardiano » à laquelle il avait donné la vie, à laquelle il a laissé son âme, ou du moins une grande partie de son âme, car une autre est liée à cette demeure ancestrale du Roure où est resté son cœur au sens figuré, mais aussi au sens matériel du mot. Ce cœur est là, selon son vœu, dans la chapelle franciscaine, en face de celui de Louis Le Cardonnel

Folco avec sa chemise à carreaux bleus ou roses, son grand feutre de gardian, avec toute son ardeur et sa souplesse de beau cavalier, maniait à son gré sa monture tel qu’il est resté jusqu’à soixante et douze ans passés, à la veille de sa mort.

Mais au Roure j’ai pu voir au-delà du « Marques », de l’homme public, acclamé par les foules provençales, l’homme tout simple, portant le poids de ses soucis quotidiens, ses charges familiales, l’élevage de ses taureaux, de pénibles affaires pécuniaires, tout l’envers de ce « mestié de glori » (métier de gloire), comme disait le bon Charloun Rieux , qu’est le métier de gardian, et plus encore celui de manadié. Il était plaintif parfois, avec sa douce voix modelée selon les intonations du plus pur dialecte d’Avignon, mais aussi résigné, fataliste et digne, confiant en Dieu et plus encore en Sainte Estelle et les Saintes Maries, et subtil aussi, diplomate avec une sorte de ruse italienne. Sans nul souci de sa gloire poétique il n’aurait jamais réuni ses vers ni ses contes, si Mme de Flandreysy ne les avait fait éditer. Que ce soit pour les commémorations de Mistral, sur lequel il aurait eu tant à dire, ou celles des premiers Félibres qu’il avait presque tous connus, il restait silencieux, habitué à se taire et méditer devant les horizons de la Camargue.

Sobre de paroles et de vers, lui aussi s’est réalisé dans sa vie plus que dans son œuvre écrite ; toutefois je crois que dans l’intimité de sa correspondance amicale il épanchait volontiers ses sentiments et Mme de Flandreysy possède de lui d’admirables lettres.

Quand la circonstance l’exigeait, que ce fut pour le centenaire mistralien célébré au Roure, en 1930, ou en 1941 pour le cinquantenaire du journal « l‘Aïoli », dont il avait été huit ans « baile », c’est-à-dire rédacteur en chef, il prenait la parole parce qu’on l’y obligeait et qu’il ne pouvait se dérober. Mais pour lui la poésie et l’éloquence étaient surtout action, et c’est par l’action, par son attitude de gardian obstiné, qu’il restera dans les yeux et la mémoire des populations du Languedoc et de la Provence. Sobre de paroles et de vers, lui aussi s’est réalisé dans sa vie plus que dans son œuvre écrite. Il est mort en Avignon au mois de Décembre 1943, chassé de son mas, que l’occupation allemande avait rendu pour lui inhabitable, en pleine conscience de sa fin, chrétiennement acceptée.

« Mai es aquèu passage de tout aro, que me demande coume vai estre ! »
(Mais ce passage de tout à l’heure, je me demande ce qu’il va être) dit-il quelques heures avant sa mort. Ah ! le joli mot de poète curieux et courageux !

Folco de Baroncelli : Descendant d’une ancienne famille florentine propriétaire du Palais du Roure qu’il vend en 1918 à Jeanne de Flandreysy. Il achète ensuite un mas, des chevaux, des taureaux, et mène la rude vie d’un gardian camarguais. La mémoire du Marquis de Baroncelli est encore très vivante aux Saintes Maries de la mer, pour avoir défendu la Camargue et ses traditions et pour avoir fondé la « Nacioun Gardiano« .

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