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MIREILLE, MES AMOURS… 1930

MIREILLE et Emile RIPERT

Mireille, mes amours, ces mots que disait l’aïeule de Mistral, quand elle voulait gracieuser quelqu’une de ses filles, ces mots que répétait sa mère, en voyant passer quelque jolie fillette de Maillane, voici qu’en commençant ce livre j’ai envie de les redire, moi aussi, comme je le fais depuis vingt-cinq ans.

Mireille, mes amours, ce n’est plus une petite paysanne de Maillane, ce n’est plus un personnage mystérieux et légendaire, c’est une créature immortelle, qui a toute la précision de la vie, mais qui n’en a ni la fragilité ni l’imperfection inévitables.

C’est à définir cette créature de rêve et de réalité, cette incarnation d’une race, cette âme visible d’un pays, que je voudrais appliquer maintenant mon esprit conscient, mais quand, d’instinct, j’étais ébloui devant le livre qui m’apportait cette révélation, j’éprouvais une plénitude que je m’efforcerais en vain, maintenant, de faire partager à mon lecteur. N’importe, il faut avoir le courage de telles opérations, si difficiles à réaliser soient-elles, et ne pas craindre de toucher à ce qu’on tremble cependant de profaner.

Ce livre qui a décidé de ma vie, voici comment il m’est apparu: A Marseille….

… De La Ciotat, où je passais mes vacances, on me menait à Marseille voir cette foire et c’était l’occasion de rendre visite à l’un de mes grands-pères, qui habitait non loin de là, dans une rue qui s’appelait et s’appelle encore la rue des Beaux-Arts et que son nom destinait à quelque belle rencontre poétique. …


Adolphe RIPERT
1815-1909
Mon grand-père avait été jadis notaire en sa petite ville de Cadenet, au bord de la Durance, patrie du tambour d’Arcole que Mistral a chanté. Là, il avait, dès son enfance, parlé le savoureux provençal du Léberon aux diphtongues adoucies et sans être un félibre très militant, il avait pratiqué la langue provençale assez bien pour traduire en son dialecte la Divine Comédie, l’Imitation de Jésus-Christ et l’Evangéline de Longfellow.

Telles étaient, dans ce temps-là, les distractions poétiques d’un notaire de village et il n’était pas seul de son espèce, puisque mon grand-père maternel mettait en vers français les luttes politiques de sa petite ville de la Ciotat, où il exerçait aussi la profession de notaire.

Donc, initié au Félibrige, amateur du vieux langage, mon grand-père paternel avait en son appartement marseillais une bibliothèque naturellement provençale et comme, enfant de sept ans, j’en parcourais les titres, je restai en arrêt devant ce nom mystérieux MIRÈIO.

Il était écrit, ce nom, en lettres manuscrites et capitales, sur une étiquette jadis blanche, et devenue jaunâtre, encadrée de filets bleus, et dont les coins étaient à pans coupés de forme octogonale, étiquette destinée apparemment aux dossiers d’affaires , étiquette notariale, qui se trouvait ainsi détournée, pour usage poétique de son emploi normal. Elle était collée sur une couverture grise, fabriquée évidemment pour remplacer la couverture authentique du livre qui avait cédé à force d’avoir été trop souvent maniée. J’ai gardé ce livre, dont j’ai hérité depuis, en cette forme que j’ai tenu à respecter. MIRÈIO! l’enfant pensif, que j’essaie de faire revivre après quarante ans bientôt
écoulés, regardait ces lettres mystérieuses. Que signifiaient-elles? Elles lui paraissaient tellement vénérables qu’il n’osa jamais s’emparer du livre et l’entrouvrir. Il le regardait de loin, fasciné par ce mot, parmi tant d’autres titres, au milieu desquels il semblait flamboyer d’une étrange manière. Il le regardait, ensorcelé, comme si savie devait en dépendre et sa vie intellectuelle, en effet, était déjà virtuellement suspendue à ce titre magique.

MIREILLE, MES AMOURS…
Extrait Chapitre Premier – Découverte de Mireille
Emile Ripert 1930

Au moment d’envoyer ce livre à l’impression, je relis ces pages où j’aurais voulu exprimer tout ce que j’aime de ce poème, mais il en est des grandes admirations littéraires comme des grands sentiments d’amour : tout ce qu’on peut dire est insuffisant à leur donner leur forme vraie et, bien plus, il semble qu’ils se soient diminués à s’extérioriser.

…/…
Quels mots faudrait-il donc employer pour qu’ils soient adéquats à notre sentiment envers cette oeuvre quasi divine ?

…/…
à propos du cinquantenaire de Mireille , j’avais écrit, sur un de ses exemplaires, ces vers où j’essayais d’évoquer le poème au moment de sa création :

C’est un livre aussi beau que les trois mois d’été ;
Un figuier merveilleux sur ses pages incline
Ses fruits lourds de soleil, d’amour et de bonté.
C’est un livre aussi beau que, ce soir, la colline ;
C’est un livre où le Rhône et le vent de la mer
Mêlent leur grand murmure et leur odeur saline…
Simples vers ingénus, candides, ils n’ont l’air
Que de vouloir aller vers les pauvres demeures,
Et voici que le monde écoute leur chant clair.
Beaux vers, nous vous devons nos larmes les meilleures…
Ah ! quand vous êtes nés, c’était par un matin
Où les cloches d’argent sonnaient les douces heures.
Premiers jours frémissants d’un glorieux destin…
Comme le ciel est haut par dessus les Alpilles !
Comme ces cyprès noirs dessinent le lointain !
Dans les hautes moissons les cris des belles filles
Percent le manteau bleu dont se drape l’Eté
Du métal lumineux de leurs chaudes aiguilles.
Les villages épars flottent dans la clarté ;
Le jour coule comme un beau fleuve diaphane ;
La nuit n’est qu’une extase et qu’une majesté…
Dès le petit matin la cloche de Maillane
Appelle pour prier celle de Saint-Rémy ;
Déjà chaque cigale occupe son platane.
Le poète, quand tout semble encor endormi,
Est debout, et, poussant ses contrevents rustiques,
Voit le jeune soleil entrer comme un ami.
Le cours égal reprend des travaux domestiques ;
On entend des mulets qui vont à l’abreuvoir ;
Grandeur, simplicité, calme des moeurs antiques..
. Le poète a reçu des lettres hier au soir ;
Auband dit : “ Mon cher, sommes-nous en carême ?
Et Roumanille dit : “ Je languis de te voir ”.
Le poète sourit, songeant à ceux qu’il aime ;
Mais l’oeuvre ardente est là, qui l’appelle et l’attend :
Tout ce ciel, il faut bien qu’il devienne un poème.
Dans le silence chaud de la chambre, on entend
Une guêpe parfois vibrer, et, guêpe sombre,
Laissant sur le papier un sillage éclatant,
La plume fait avec la lumière, avec l’ombre
Avec les simples noms des pays familiers,
Avec les longs troupeaux dont la route s’encombre,
Avec les clairs grelots qui tintent aux colliers
Des chevaux qui s’en vont aux fêtes des villages
Avec le bruit des eaux sous les micocouliers,
Avec les feux de la Saint-Jean, les attelages
Portant leurs gerbes d’or où pleut l’or des couchants,
Avec la mer au loin qui se meurt sur les plages,
Avec le rire en fleur d’une enfant de quinze ans,
La plume ardente fait, et le soleil la dore,
Un livre qui fera pleurer les jeunes gens…
Cependant le grand mas est devenu sonore…
Ce fut midi, ce fut le soir, mais, plein de Dieu,
Le poète, voici la nuit, travaille encore.
Maintenant la première étoile dans l’air bleu
Met le point d’or qui clôt le jour comme une phrase ;
Les moissonneurs pensifs reviennent peu à peu.
Déjà pour le repas l’âtre profond s’embrase ;
Et le poète, las d’avoir si bien peiné,
Descend, grave et joyeux, le coeur noyé d’extase.
Il cause, simple et doux ainsi qu’un frère aîné,
Avec ces simples gens qui travaillent la terre :
— Aujourd’hui comme vous, dit-il, j’ai moissonné.
Ils restent interdits, soupçonnant un mystère ;
Puis le rire et les chants reprennent leur élan ;
Fraîche gaîté du soir après le jour austère…
La petite fermière a posé le pain blanc
Sur la table de pierre où fume un plat de fèves ;
Les astres peu à peu montrent leur feu tremblant,
Et comme le jour fait vers les lointaines grèves,
Et qu’invités déjà par les premiers grillons
Tous songent au sommeil sans remords et sans rêves,
Le poète ébloui d’invisibles rayons,
Voit soudain sans bâton, sans guide, sans escorte,
Aveugle, mais couvert d’étincelants haillons,
Un grand vieillard debout sur le seuil de la porte…

C’était là le commentaire et le développement de cette juvénile prière qu’à vingt ans je balbutiais dans l’église de Maillane, le premier jour où je suis allé voir Mistral :

A l’heure où tu meurs au soir qui se fond
Tout un peuple sort du passé profond
Avec le bruit chaud et doré que font
A Paques en fleur la guêpe et l’abeille,
O Sainte Mireille !

C’est pourquoi les fils de ceux dont les coeurs
Ont voulu revivre à l’heure où tu meurs,
Sont venus, le long des chemins en fleurs,
T’apporter des vers à pleine corbeille,
O Sainte Mireille !

Car tu fus pour nous, pauvre peuple las,
Le garde-malade aux tout petits pas,
Qui, le mal fini, s’approche, et, tout bas,
Dit les mots d’espoir, légers à l’oreille,
O Sainte Mireille !

Le malade écoute, approuve et sourit ;
Il voudrait marcher, il se sent guéri,
Et voici qu’il court aux oliviers gris,
Aux champs retrouvés, à la vieille treille,
O Sainte Mireille !

Bonne soeur chérie, où les prendrons-nous,
Les mots qui pour vous seraient assez doux ?
La Provence n’a rien de mieux que vous
Dans son jardin clair qu’Avril ensoleille,
O Sainte Mireille !

Elle a bien ses flots où s’apercevoir,
Elle a bien son Rhône, où, fraîche, se voir :
Mais tu fus encor le plus beau miroir
Auquel elle ait pu se mirer, Mireille,
O Sainte Mireille !

Bien d’autres poètes ont essayé, comme moi, de dire leur admiration pour l’oeuvre immortelle : voici, pour terminer, le sonnet qu’écrivait quelque temps avant de mourir le jeune poète provençal, Emile Turle, natif de Barjols et mort à Grasse des suites de ses blessures de guerre :

Je ne m’ennuierais pas de vivre solitaire
Si j’avais avec moi l’Evangile et Virgile ;
L’un chante le cytise et les fruits de la terre,
L’autre, les fruits du ciel et le beau lys fragile.

Si je n’avais qu’un livre, un seul me pourrait plaire
S’il portait avec lui la prière et l’idylle ;
Or j’ai nommé Mireille , et ce n’est plus mystère :
Mireille est à la fois Virgile et l’Evangile.

A qui connaît Mireille il suffit de Mireille ;
Tu ne pourras plus vivre ainsi que de coutume
Si les chants de Mistral t’ont chanté dans l’oreille ;

Quelque chose est en toi des jardins inconnus…
Et tu viens d’accueillir le verbe qui résume
Le mètre de Virgile et le coeur de Jésus.

 

MIREILLE, MES AMOURS…
Extrait Chapitre VI – L’humble offrnde d’un poète
Emile Ripert 1930

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